Luis EL DUENDE

GUITARISTE IMPROVISATEUR

LA ¨PRODIGIEUSE HISTOIRE DE « LA FOLIA »

par Luis EL DUENDE, guitariste improvisateur

La Folia, également appelée Follia (en italien) ou Folies d’Espagne, est l’un des plus anciens thèmes musicaux européens, basé sur un motif obsédant qui se répète en se modifiant: apparu probablement au xve siècle au Portugal , il a connu ensuite au fil des siècles un très grand engouement. Plus de cent cinquante compositeurs l’ont repris dans leurs œuvres, avec diverses variations (diferencias chez les Espagnols), de Lully au XVIIe s. à Vangelis au XXe s.: cette musique a pris une dimension véritablement hors du temps…

C’est à l’origine une danse champêtre rituelle, mentionnée pour la première fois dans un texte portugais du XVe s., qui était liée à la fertilité, et au cours de laquelle les danseurs portaient des hommes habillés en femmes sur leurs épaules: son rythme rapide et son aspect insensé initiaux sont probablement à l’origine de son nom…

Le thème repose sur cette succession d’accords (ici en Ré mineur) :

Ré m / La(7) / Ré m / Do / Fa / Do / Ré m / La(7)

Ré m / La(7) / Ré m / Do / Fa / Do / Ré m – La(7) / Ré m

La Folia connaît ensuite un grand engouement en Espagne. Les poètes Gil Vicente et Diego Sánchez de Badajoz écrivent des textes sur ce thème, dont on trouve une variante anonyme en 1490 dans la chanson de berger « Rodrigo Martinez » du Cancionero Musical de Palacio (*), puis dans des œuvres de Juan del Encina (1520) (*) et Antonio de Cabezón (1557) (*)

A l’époque du XVIIème s., et encore au XVIIIème s. avant l’apparition du violon, les improvisations se font à la viole de gambe, l’instrument de base, un bon musicien devant pouvoir en concert improviser des variations sur un thème avec vitalité et spontanéité.

Puis au début du xviie siècle, la Folia arrive en Italie en même temps que la guitare espagnole et les danses qu’elle accompagne : la sarabande, la passacaille, la chaconne… Elle est adoptée par Kapsberger qui en publie des variations dans son Libro primo d’intavolatura di chitarone (1604). Son nom est italianisé en Follia.

Une forme plus récente naît dans les années 1670, en Espagne avec Gaspar Sanz , puis en France avec Les Folies d’Espagne de Lully publiées en 1672: on peut se faire une idée de l’engouement provoqué par ce thème en lisant ce qu’écrit Robert de Visée, le maître de guitare de Louis XIV, qui a repris ce thème dans la Sarabande de sa suite en Ré mineur pour guitare, dans l’introduction de son Livre de guittarre (1682): « …on ni trouvera point non plus de folies d’Espagne. Il en court tant de couplets dont tous les concerts retentissent, que je ne pourois que rebattre les folies des autres. »

La Folia est aussi importée par Michel Farinel en Angleterre, où elle prend le nom de Farinel’s Ground (« Ostinato de Farinel »), puis sera reprise par Purcell dans sa chaconne.

La mélodie se stabilise en se ralentissant au fil du temps, et le thème donne lieu à d’innombrables variations: il est repris notamment par Arcangelo Corelli en 1700 (*) dans la sonate Op. V no12, Marin Marais en 1701 (*) dans le deuxième livre de ses Pièces de viole, Domenico Scarlatti en 1710 dans ses Variazioni sulla “Follia di Spagna”, Antonio Vivaldi dans sa sonata da camera no12 Op. 1 (vers 1705) et son opéra Orlando Furioso en 1727, Händel dans sa fameuse « Sarabande » (musique du film « Barry Lindon » de S. Kubrick ), François Couperin vers 1722 dans ses « Les Folies françaises ou les Dominos » suite de variations sur un thème musical très proche (Troisième livre de clavecin, 13e ordre, si mineur), Bach qui y fait allusion dans sa cantate dite « des paysans » en 1742, ainsi que Beethoven dans l’andante de sa 5ème symphonie…

La Folia s’est ainsi mise à habiter consciemment, et parfois inconsciemment, la musique occidentale qu’elle ne quitte plus. Si l’engouement pour ce thème diminue au cours du xixe siècle, on le retrouve cependant chez Paganini, et dans la Rhapsodie espagnole de Liszt.

Elle connaît ensuite un regain au xxe siècle avec notamment Rachmaninov dans ses Variations sur un thème de Corelli (1931), et aussi Joaquin Rodrigo, ou Manuel Ponce dans ses Variations sur « Folia de España » et Fugue pour guitare. De nos jours, elle hante encore l’imaginaire musical, et on la retrouve, outre « Barry Lindon », dans des musiques de film comme « 1492: Christophe Colomb » de R. Scott avec la musique de Vangelis, ou même dans l’univers des jeux vidéo comme « Final Fantasy IX » avec sa bande sonore composée par Nobuo Uematsu!

(*) Référence discographique: Jordi SAVALL, CD Aliavox 1998 – LA FOLIA 1490 – 1701

Plage 1. (Anonyme 1490): Folia – villancico (chanson de berger) « Rodrigo Martinez » du Cancionero Musical de Palacio.

Plage 3. Antonio de Cabezón (1510 – 1566): Folia – Para quien crié yo cabellos (1557) – d’après Venegas de Henestrosa.

Plage 5. Juan del Enzina (1468 – 1530): Folia – villancico « Hoy comamos y bebamos » (1520).

Plage 7. Arcangelo Corelli (1653 – 1713): Follias (1700).

Plage 8. Marin Marais (1656 – 1728): Couplets de Folies (1701).